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Une flèche en plein ciel

Cela faisait plus d’un siècle qu’elle trônait, recouverte de son habit d’ardoise, sur le toit du centre des finances de Strasbourg, à l’angle de deux larges avenues du quartier de la Neustadt. Mais il y a quelque temps, cette flèche élancée a commencé à donner des signes de faiblesse. Plus précisément, sa charpente en sapin. Un programme de rénovation se penche alors sur ce bâtiment, héritage de l’urbanisme germanique impérial du tournant du 19e siècle et classé monument historique. Décision est prise de remplacer le dôme, dont la structure d’origine, qui date de 1896, est trop abîmée pour être conservée. La mission est confiée à l’entreprise alsacienne Girold Constructions Bois, forte de décennies d’expérience dans la charpente traditionnelle, les monuments historiques et aujourd’hui également la maison ossature bois. Jean-François Fassel, couvreur zingueur de métier et depuis sept ans conducteur de travaux et chargé de la sécurité chez Girold, nous a raconté les coulisses de ce chantier exceptionnel.

9 Aout 2021

Charpentes et couvertures

Modélisation de l'existant

" La mission était le remplacement complet de la coupole, charpente et couverture. Il a donc fallu commencer par aller prendre les mesures et faire un relevé précis de l’existant, pièce par pièce, afin de modéliser entièrement la charpente et dessiner le projet ", explique Jean-François. Un gros travail d’étude en amont occupera ingénieur d’études et chef d’équipe pendant deux semaines, puis la charpente virtuelle en 3D apparaîtra enfin sur les écrans du bureau d’études de Girold Constructions bois à Barr.
Pendant ce temps, la dépose de la couverture se poursuit sur le toit de la Direction régionale des impôts de Strasbourg. Les tronçonneuses s’attaquent aux vieilles poutres de sapin. L’ancienne structure est entièrement démontée et débitée in situ, et entreposée sur la toiture en attente de son évacuation. La place est libre…

Dans l’atelier Girold, le robot de taille, guidé par les plans informatisés, fabrique en une seule petite journée toutes les moises de la charpente en épicéa. Oublié, le savoir-faire ancestral des charpentiers ? " Les compagnons interviennent dans la finition. Ici, toutes les parties cintrées ont été taillées à la main, de manière artisanale. En gros, la partie simple est fabriquée par le robot, et ce qui est plus compliqué est fait par les hommes ", rectifie Jean-François.

Assemblage au pied du bâtiment

Il est temps de passer à l’assemblage. Pour cette étape majeure, qui durera plus de deux semaines, toutes les pièces de bois sont transportées en ville, dans une cour d’immeuble. Celle du centre des Finances. À l’abri des regards, insoupçonnable depuis l’avenue principale qui longe pourtant le bâtiment de l’autre côté, la charpente va renaître. Dix mètres cubes de bois vont peu à peu prendre la forme de la flèche. Les compagnons s’activent dessus pour les retouches finales et derniers ajustages, faits directement sur place.
" Travailler en plein centre ville augmente beaucoup les risques à cause des bâtiments autour et des passants, explique Jean-François en qualité de responsable sécurité. La possibilité d’assembler la charpente au sol dans cette cour fermée, sans badauds, sans autre activité à côté, et de la lever entièrement assemblée, a permis de baisser l’ensemble des risques. " Et si cela n’avait pas été possible ? " Il aurait fallu l’assembler sur le toit, au-dessus d’un carrefour très passant, donc davantage de risques pour le personnel, de chute d’objets ou de matériaux, et une période plus longue exposés aux intempéries… Ça aurait tout compliqué ! "

Voyage dans les airs

Le grand jour a été programmé le dimanche 19 juillet 2020, par une météo idéale. Entre alors en scène l’autre partenaire du projet, l’entreprise de levage AS manutention et sa grue de 250 tonnes munie d’un bras de 85 m, qui s’installe de l’autre côté du bâtiment du 35 avenue des Vosges. " On a fait ça un dimanche matin pour gêner le moins possible la circulation, parce qu’il fallait fermer l’une des avenues principales de Strasbourg. La grue est venue se mettre en place très tôt le matin, et on a fait un essai de levage une fois à blanc pour vérifier que ça passait… " 
De l’autre côté du bâtiment, la cloche de bois, qui affiche de généreuses mensurations avec ses 3,5 tonnes pour dix mètres de haut, est fin prête. Des sangles d’arrimage sont passées entre les cintres, et accrochées au câble qui descend du ciel. Vers 10 h, la flèche de sapin quitte la cour par la voie des airs. C’est un moment crucial.
" Bien sûr qu’on a toujours une petite angoisse quand on lève quelque chose de cette manière… Surtout une belle charpente comme ça ! ", confirme Jean-François.

Mais un autre instant décisif reste à venir. Après son petit tour en plein ciel, la charpente doit venir se placer à son emplacement définitif. " Même si on a tout vérifié et revérifié, c’est le moment où on sait si ça rentre ou pas ! Il y a toujours quelques minutes d’incertitude pendant lesquelles on espère qu’on ne s’est pas trompé… "
Aux premières loges, quatre charpentiers, sécurisés avec leur harnais sur l’échafaudage périphérique, surveillent l’atterrissage de la nouvelle charpente qui vient se poser exactement sur son support, une lice en bois sur le chaînage en béton préparé en amont. Soulagement. Il ne reste qu’à la boulonner dessus. À midi, l’opération est terminée, la grue est remballée, l’avenue est rouverte.

Une mystérieuse coutume

Il reste quelque chose à faire. Au moyen de l’échelle installée sur la charpente pour la dégager de ses sangles de levage, les compagnons se hissent au sommet pour y planter… un petit sapin, comme le veut la tradition chez les charpentiers pour marquer la fin du chantier du gros œuvre. Les couvreurs l’ont enlevé un mois après, au moment de commencer l’habillage en ardoise. Mais entre-temps, l’énigmatique sapin a laissé perplexes un moment les passants de l’avenue des Vosges !

Aussi spectaculaire soit-il, ce chantier n’est pas, aux yeux de Jean-François, une véritable prouesse." On ne le fait pas couramment, mais ce n’est rien de compliqué. Il faut juste une bonne organisation, et les compétences pour. " Quant au souvenir le plus mémorable, c’est un instant discret, presque secret…" Le moment fort pour les compagnons, c’est quand ils gravent leurs initiales et le logo de Girold dans la charpente. C’est important pour eux de laisser cette trace, en se disant que d’autres la découvriront dans une centaine d’années, quand ils remplaceront à nouveau la flèche ! " 


Conception, suivi de chantier et organisation : Jérémie Kammerer, Girold Constructions bois
Chef de chantier : Sylvain Rosin, Girold Constructions bois

 

Article rédigé par Anne Jankeliowitch

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