La corde au féminin
Elles s’appellent Emilie, Hayley, Souad ou Aurélie, et vivent aux quatre coins de la France. Leur point commun ? Le métier de cordiste. Et le genre féminin. Regroupées dans le collectif Haut Pluri’Elles, elles nous présentent leurs actions.
26 Mai 2025
Accès sur corde et espaces confinés
Parti d’un message sur les réseaux sociaux pour se rencontrer, le collectif Haut Pluri’Elles est né d’un premier rassemblement en juillet 2023, il y a bientôt deux ans. À l’origine, une envie de se regrouper et de faire connaissance entre femmes cordistes, si peu nombreuses dans ce métier d’hommes.
Le collectif compte actuellement quelque cent-cinquante membres, dont une dizaine plus actives, parmi lesquelles des cordistes des travaux publics, de l’industrie, de l’urbain ou du spectacle, mais aussi des scaphandrières, charpentières, riggeuses, élagueuses, autant de métiers qui se conjuguent très rarement au féminin. Et qui, par leur diversité d’expériences, font la richesse du collectif.
Sororité cordiste
Le collectif Haut Pluri’Elles est un lieu d’entraide, d’échange, de cohésion, de solidarité. Un lieu empreint de sororité, chère aux filles du collectif. Un lieu où l’on peut exprimer librement ses doutes, ses problèmes, ses besoins, partager ses bons plans et ses bonnes idées, et avancer ensemble sur des problématiques spécifiques aux femmes.
« Quand vous faites moins d’1,70 m et que vous pesez 55 kilos, c’est très difficile de trouver un harnais à la bonne taille. En plus, les harnais de cordiste ne sont pas adaptés à la morphologie féminine, très différente de celle des hommes au niveau des hanches et des côtes », soulève Emilie, cordiste depuis six ans, actuellement sur un chantier au Palais des Congrès. Rien de plus qu’un constat. Mais qui pose souvent problème aux petits modèles. Alors le collectif s’est penché dès sa création sur ce premier dossier. Elles planchent actuellement pour faire évoluer ses harnais de travail et proposer un modèle adapté aux petits gabarits féminins, conçu et testé avec l’aide des filles du collectif.
« Il y a des cordistes qui sont aussi mamans, et l’organisation est parfois compliquée quand il faut concilier la garde des enfants et le travail sur un chantier, surtout en déplacement. Le collectif permet de partager ces difficultés, de demander aux autres comment elles s’organisent », explique Hayley, cordiste, riggeuse et artiste en Ardèche, elle-même maman d’une petite fille.
« On se donne des conseils sur plein de sujets », résume-t-elle. Et cela va des bons plans pour acheter des gants de travail en taille XS, aux informations utiles sur les démarches concernant le congé maternité, en passant par les conseils en cas de menstruations douloureuses.
Si le collectif est un espace d’échange, il entend aussi être en mesure d’accompagner concrètement les femmes dans le domaine du droit du travail et des situations de discrimination, de propos ou d’attitude sexistes. Quelle est la loi, quels sont nos droits, comment les faire respecter ? Questions et réponses s’échangent au sein de groupe, apportant soutien, éclairage et réconfort. Pour renforcer cette compétence et mieux connaître le sujet, quelques membres du collectif participent régulièrement à des formations avec l’AFVT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail). « On a eu le cas d’une cordiste qui avait des problèmes au travail et on s’est rendues compte qu’on ne savait pas comment la conseiller, la protéger juridiquement… On devait se former pour cela », explique Emilie.
Sous les projecteurs
Pour des échanges directs et les questions urgentes, les filles utilisent leur groupe WhatsApp. Pour les autres sujets, le collectif se réunit une fois par mois en visio. Participe qui veut, qui peut. Ce rendez-vous mensuel permet d’avancer sur les dossiers en cours, discuter des actions à mener, faire le point, définir l’organisation du prochain week-end d’entraînement.
Ces week-ends de rencontres techniques, auto-encadrés, réunissent dix à vingt participantes. La fréquence visée est d’une fois par mois, le lieu alterne entre différents centres de formation qui mettent leurs locaux à disposition, mais l’objectif est chaque fois le même : échanger sur les techniques, partager les connaissances et progresser. Parfois en mixité, et parfois uniquement entre femmes. « On se sent plus à l’aise. On revoit des manip de secours, de levage, ça permet de prendre confiance, d’être plus sûre de soi, et de ne plus douter de notre légitimité », explique Emilie. D’autres viennent au week-end juste « parce que c’est sympa de se voir de temps en temps, on s’entend super bien ! »
Parmi les participantes, quelques-unes s’entraînent sur des parcours spécifiques, avec un objectif en vue : c’était par exemple le cas pour le championnat de France cordistes les 27 et 28 juin 2024 à Marseille. « Cette année, on a réuni trois équipes féminines pour participer aux masters », annonce Emilie. Pour la première fois, suite à la demande du collectif, des cordistes femmes ont participé aux épreuves en équipe du deuxième jour lors de cet incontournable rendez-vous du monde de la corde. « Il était temps ! », ajoute-t-elle. Un bon moyen d’être enfin sous les projecteurs, car l’objectif du collectif est aussi d’améliorer la visibilité des femmes dans un métier très masculin.
Work in progress
À l’avenir, le collectif évoluera sans doute en association, mais veut conserver, dans cette transformation, son fonctionnement collégial dans lequel toutes les voix sont égales.
Quant aux homologues masculins, si certains acceptent mal la « mixité choisie » du collectif, d’autres comprennent parfaitement la démarche et l’approuvent. Leur ouvrira-t-on un jour la porte ? « On a évoqué la possibilité d’intégrer les hommes dans le collectif, mais on ne sait pas encore sous quelle forme. C’est en discussion », répond Emilie.
En attendant, la page Facebook Haut Pluri’Elles a été lancée le 14 juin 2024, pour fêter la première bougie du collectif ! Et le travail continue : parmi les nombreuses problématiques propres aux femmes qui occupent le collectif Haut Pluri’Elles, « il y a des choses en chantier, et des choses qui ont commencé à avancer », se félicite Emilie.
Article rédigé par Anne Jankeliowitch, mis en page par Gabriel Cavalier et illustré par les membres du collectif.
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