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Spéléologie : À la recherche de l'inexploré en Papouasie

Lorsque David Parrot, spéléologue confirmé part en Papouasie, c’est pour accomplir un rêve d’étudiant : se frayer un chemin dans la jungle à coups de machette pour y découvrir des gouffres « où personne n’y a mis les pieds ». Immersion à travers ce récit où verticalité et spéléologie mettent en lumière les paysages papous.

5 Octobre 2023

Spéléologie

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

 

Il y a plus de 20 ans, étant étudiant et sans grands moyens financiers, je devais me contenter de rêver d’aventure. Le rêve est le premier pas pour y accéder et je me suis nourri de tous ces grands mythes : les méga dolines de Mynié, Naré, ou encore de ce premier « -1000 » de l’hémisphère sud appelé Muruk. Au fil du temps, je me suis aperçu que la spéléo allait devenir un prétexte pour me faire vivre cette expérience unique dans les grandes forêts primaires. Le premier voyage initiatique et déclencheur fut une expédition organisée par Jean-Paul Sounier en 2014 avant d'y retourner 2018 et 2019. Je me suis pris de passion pour ce que nous occidentaux appelons « la jungle » en participant à une expédition aux Philippines en 2016. La végétation y est bien plus agressive et psychologiquement usante que les forêts de Papouasie. On y trouve des insectes de toute sorte, grossis à une échelle x10 ; des serpents sur l’eau des rivières ou dans les grottes ; et bien sûr toute une faune que nous ne percevons pas. Finalement, la Papouasie est si paisible, quand la météo nous laisse tranquille. 

 

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

 

Cette brève introduction me permet de me rappeler les raisons pour lesquelles je voulais retourner en Papouasie. Le prétexte : la spéléologie. Le contexte : la forêt. Il ne convient pas, par ce récit, de suivre un journal de bord, mais de partager une journée pleine d’émotion, comme nous en avons tant vécues. Au contraire de l’alpiniste, nous ne voyons pas les gouffres qui ornent le monde souterrain. Et il est encore moins évident de les trouver lorsqu’ils sont recouverts d’une forêt très dense, ne laissant filtrer que quelques rares rayons du soleil. 

La veille, tu prépares ton propre itinéraire jusqu’à ton objectif à l’aide d’une carte et du GPS. La carte est indicative et permet de voir les gouffres répertoriés, ainsi que les traces réalisées aux alentours par les précédentes expéditions. Par conséquent, je recherche souvent ce que l’on appelle « la première géographique », là où personne n’a mis les pieds, là où aucun chemin n’est tracé. Mon objectif du jour est un gros talweg situé au nord-est à trois kilomètres à vol d’oiseau. Une sacrée épreuve lorsque tu tailles dans la forêt pour y parvenir. C’est pourquoi je pars avec Troy, un bon compagnon, ambitieux et au point autant mentalement que physiquement. Nous prenons le temps pour l’affûtage de la machette. Ce petit moment d’intimité avec cet objet dont tu prends soin et que tu bichonnes au quotidien est essentiel pour la réussite de ce genre de projet. Un sac, un GPS, deux litres d’eau, quelques vivres, une boussole, et nous voilà à pied d’œuvre pour vivre une journée unique, similaire à celle des grands aventuriers d’autrefois.  

 

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

 

Impossible de compter le nombre de coups de machette envoyé dans une journée, mais on serait surpris je suppose. Le premier ouvre la trace, le second l’améliore et donne le cap à tenir. Les obstacles s’enchaînent. À commencer par les zones de bambou, difficiles à pénétrer et à contourner. Le mieux c’est de ne pas réfléchir, tu agites la machette en gagnant mètre par mètre ton chemin.

Souvent, tu tombes sur des dolines très profondes de cinquante ou cent mètres. Soit tu la contournes en modifiant ton cap, soit ta curiosité est stimulée, et tu rêves alors d’exploration souterraine. Mais tu n’es sûr de rien, encore moins de l’efficacité de ton chemin car tu penses aussi au retour. Quelle option choisir ? C’est une multitude de questions entre le cap, le dénivelé, la distance, la pluie tropicale et tout ce qui s’agite dans ta tête : le moral prend cher. Le sol se transforme en un bourbier immonde et glissant mais il faut continuer, tailler, pour ne pas avoir froid. Mon compagnon Troy est solide : peu importe l’heure, il a le même caractère, et l’objectif en tête, coûte que coûte.

La pluie arrivera tardivement, et nous arrivons à récupérer un bout de forêt où il est facile de progresser. Quand nous arrivons au bout de ce grand talweg la forêt est très aérée, et nous permet de distinguer l’immensité et la profondeur du lieu. Une légère brume immobile finit de graver l’endroit dans ma mémoire. Nous attaquons la descente d’environ cent mètres de haut pour rejoindre le lit du ruisseau asséché en cette période de l’année. Après cinq petites heures de combat nous arrivons à temps sous un tronc d’arbre pour échapper à une pluie battante et faire notre pause. Une petite boîte de thon pour deux et huit crackers chacun, tel est le repas du midi. Nous gardons notre orange et notre barre de céréales pour contrer l’inattendu. Désormais, le talweg permet une progression très efficace et rapide. Au bout de huit-cents mètres de parcours en terrain varié, nous n’en croyons pas nos yeux : la perte du talweg s’engouffre dans une entrée papouesque. La joie et la satisfaction s’emparent immédiatement de nous ; nous devenons euphoriques, tel l’alpiniste qui atteint la première fois un sommet vierge.

 

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

 

Nous commençons immédiatement l’exploration de cette grotte. Le sol, sans résidu de boue, permet de constater le parcours de l’eau, et par endroit sa puissance, là où la roche est déchiquetée et tranchante comme une lame de rasoir. La galerie est spacieuse, quinze mètres de large par quinze mètres de haut, parsemée de blocs, au plafond recouvert de stalactites d’une blancheur incroyable. Au loin, dans l’obscurité, une multitude de cris aigus nous parvient. En progressant, un spectacle inattendu et majestueux s’offre à nous lorsque nous traversons un nuage de chauve-souris. Effrayant pour certains, magique pour nous les spéléos. C’est effectivement peu commun de trouver de telles colonies en Europe, et de cette envergure, semblable à celle d’un chat volant (appelé ici « fly fox »).

Au détour d’un virage, une lueur apparaît, nous faisant prendre conscience que le parcours souterrain s’achève après deux-cents mètres d’obscurité. Incroyable traversée sous la jungle ! L’aventure ne s’arrête pas pour autant, puisqu’en retrouvant le jour nous découvrons une architecture géologique : une arche en calcaire, comme un « petit Pont d’Arc » ornée de fougères et d’arbres verdoyants. Le ruisseau se transforme en une cascade de trente mètres se jetant dans un autre talweg et notre soif de découverte nous pousse toujours plus loin pour découvrir l’inconnu devant nous. Ici, le lit de la rivière asséchée est encore plus large, les roches au sol sont lavées par l’eau lors de la saison des pluies. Une fine pellicule verte recouvre le sol, le rendant très glissant. Le feuillage des arbres bordant le lit de la rivière forme une arche végétale éclatante de couleur tandis que le retour du soleil nous apporte réconfort et chaleur. Nous progressons tantôt dans les vasques d’eau, tantôt sur les berges. La pluie a rendu le sol de cette zone marécageuse très meuble, et nous nous y enfonçons parfois jusqu’aux genoux. Autour de nous l’environnement s’évase, pour laisser place à une vaste zone de confluence : en plus de notre rivière il semblerait qu’il y ait également une rivière à gauche et à droite. Nous décidons d’ignorer ces drains latéraux pour essayer de trouver la perte de cette immense doline, si elle existe. Puis, un parcours très difficile nous délivre enfin le graal tant espéré. Une entrée gigantesque de trente mètres de large par quinze mètres de haut surgit devant nous. Le chant de quelques oiseaux et grenouilles ajoute à nos regards illuminés une note amicale et inoubliable. Nous savourons cet instant, dans le silence, traversés par la magie de ces lieux. 

 

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

 

Tant d’euphorie à cet instant… Mais nous savons l’un comme l’autre que l’excitation de l’exploration peut s’arrêter à tout moment. Alors nous prenons notre temps, en contemplant encore cette cathédrale, puis nos éclairages illuminent ce qui était dans l’obscurité jusqu’à aujourd’hui. La galerie descendante est parsemée de troncs d’arbres, témoignant de la brutalité de la saison des pluies. Les stalagmites suggèrent de l’ancienneté des lieux. Pas après pas, nos faisceaux percent l’obscurité. On rêve d’un collecteur, de paysage de calcite, d’une rivière souterraine aux eaux turquoise s’écoulant vers la résurgence huit kilomètres plus loin et mille mètres plus bas. Troy, à chaque virage, s’exclame avec son accent anglais « Oh là là ! » Mais bien avant de commencer cette exploration, nous savions qu’elle finirait à un moment. La question était : comment la grotte s’arrêtera-t-elle ? Aussi décevant que cela puisse être, au bout de trois-cents mètres de conduit karstique, la galerie est encombrée par une immense trémie de blocs. Seuls les murs latéraux continuent vers l’inconnu, laissant rêveurs les explorateurs que nous sommes. Une fin amère, qui est une réalité bien connue dans le milieu de la spéléologie, et précisément en exploration. Nous retrouvons les doux rayons du soleil dans le porche d’entrée de la grotte. Nous communions un nouvel instant avec ces lieux que nous ne reverrons plus, en dégustant une orange. Une marche de retour silencieuse et nocturne, dont chaque pas fait revivre les émotions de la journée.

Ces émotions, c’est ce que je suis venu chercher ici, en Papouasie. Je suis venu avec l’intention de vivre des moments intenses, dans ce monde végétal, qui me fascine par sa beauté mais aussi par sa complexité. C’est également un moment où l’on se découvre intérieurement, où tu n’as d’autre choix que d’avancer. Et quand les gouffres t’offrent la possibilité de se dévoiler, tu savoures paisiblement l’histoire que tu vas raconter. 

Article rédigé à partir des notes d'expéditions de David Parrot. 


Quelques images de cette aventure en Papouasie fournies par Alex Lopez. 

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

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2023 © PETZL Distribution - Alex Lopez

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Comme David, de nombreux athlètes du Team Petzl partagent régulièrement leurs aventures avec la communauté.
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