EnQuête d’Arbres : former des scientifiques au Congo
En mars 2023, Laurent Pierron et Jérémie Thomas, fondateurs d’EnQuête d’Arbres, se sont envolés pour le parc national de Conkouati Douli au Congo. But de cette expé en pleine forêt tropicale ? Former les scientifiques de l’association Help Congo à grimper aux arbres pour observer in situ les chimpanzés. Laurent raconte.
9 Juillet 2023
Elagage
Tu as créé l’association EnQuête d’Arbres. Peux-tu nous la présenter ?
Je suis allé en Australie en 2011 pour le championnat du monde des arboristes-grimpeurs. Là-bas, j’ai rencontré Jérémie Thomas au pied des grands eucalyptus et on s’est retrouvés à les grimper ensemble, pour le plaisir. En parallèle, j’avais commencé à travailler avec des scientifiques en France. En discutant, nous nous sommes aperçus que la combinaison de nos compétences et de nos connaissances pouvait être intéressante pour toutes les personnes qui ont besoin d’accéder à la canopée des arbres. Nous avons décidé de créer une association pour accompagner les scientifiques dans leurs missions, les former à l’accès aux arbres en forêt tropicale, et aussi grimper les plus hauts arbres de chaque continent. Ça, c’était plus pour le fun, pour nous ! EnQuête d’Arbres a commencé comme ça.
En quoi consiste l’accompagnement et la formation des scientifiques ?
EnQuête d’Arbres intervient de deux manières auprès des scientifiques : soit on travaille pour eux sur place, et tandis qu’ils restent au sol, on réalise tout le travail en hauteur conformément à leurs besoins, soit on fait de la formation dans le but de les rendre autonomes dans leur travail de terrain en forêt tropicale. Dans ce cas-là, la formation cible leurs besoins spécifiques selon les recherches qu’ils mènent. Cela peut se limiter à monter et descendre le long d’un tronc pour installer du matériel en hauteur, ou se déplacer également dans le houppier pour des prélèvements, des analyses, des observations in situ.
Votre dernière mission s’est déroulée au Congo. Qu’avez-vous fait là-bas ?
On a été contactés par la fondation Beauval Nature, pour laquelle on avait déjà mené une mission similaire au Laos, et qui est partenaire de Help Congo, une association congolaise fondée en 1991 pour la conservation des primates, notamment des chimpanzés, victimes du braconnage depuis longtemps, et la protection de l’environnement. Help Congo a plusieurs bases sur le terrain, où des scientifiques étrangers et locaux mènent des recherches sur les singes, la forêt et sa biodiversité. Dans les équipes il y a aussi du personnel local, généralement des habitants des villages voisins, que l’association recrute sur les volets logistiques. L’idée est de leur assurer un revenu, c’est-à-dire une alternative valable et durable au braconnage. Notre mission avait pour but de former l’équipe à l’accès et au déplacement dans le houppier, pour y installer des caméras-traps et améliorer le suivi scientifique des singes.
Le programme sur place ?
La mission durait deux semaines pour neuf stagiaires, avec deux formateurs, Jérémie et moi-même. La première semaine, on enseigne les bases des différentes techniques d’accès en hauteur, et les cinq jours suivants, les gens mettent en application par rapport à ce qu’ils auront à faire plus tard, comme, cette fois-ci, installer des caméras, et on ajuste en donnant des conseils. C’est très intense, car on a peu de temps devant nous. Dès le deuxième jour on est à 30 mètres de haut !
Est-ce qu’il y a parfois des problèmes avec les scientifiques que vous formez ?
La première semaine, c’est toujours éprouvant pour les gens qui n’ont jamais grimpé aux arbres, alors on essaye de travailler à proximité du camp pour limiter les marches chargés de tout le matériel, et que les gens puissent se reposer. Malgré tout, ça peut arriver que certains ne soient pas faits pour la hauteur ! Si un participant n’est pas à l’aise, on lui fera arrêter la formation, cela n’a jamais posé de souci. Dans ces milieux hostiles, il n’y a pas de moyens de communication, pas de secours, donc on ne peut pas se permettre de risquer le moindre incident car les conséquences sont tout de suite très lourdes. On axe énormément le discours sur la sécurité et la prévention, mais les participants savent encore bien mieux que nous à quel point c’est important au beau milieu de la forêt tropicale !
Qu’y a-t-il de spécifique en forêt tropicale pour un arboriste-grimpeur, par rapport à la même activité sous nos contrées ?
Le climat chaud et humide est beaucoup plus fatiguant, de même que les insectes à profusion, qui sont pénibles. Mais la difficulté principale, c’est l’installation et la mise en place de la corde qui nous permettra d’accéder au sommet de l’arbre depuis le sol. En Europe, les forêts dont dégagées, on voit la structure de l’arbre, l’enfourchement. Mais là, il y a tellement de sous-étages de végétation, de lianes, de fougères et de plantes épiphytes qui encombrent l’arbre lui-même que c’est beaucoup plus complexe de viser une fourche suffisamment proche et solide pour mettre en place la corde. Le matériel est globalement le même, sauf la longueur de la corde d’accès. En Europe, une corde de 70 mètres suffit dans la plupart des cas. En forêt tropicale et pour grimper les très grands arbres, nous utilisons une corde de 150 mètres !
Quelles techniques de progression sur corde sont utilisées ?
Nous avons utilisé des techniques classiques similaires à celles pratiquées partout dans le monde, le SRT (single rope technique) pour l'accès. Nous intégrons des systèmes propres à l’élagage qui permettent de descendre immédiatement sans faire de conversion du matériel entre la montée et la descente. C'est un point de sécurité important lors des phases d'accès, encore plus pertinent en forêt tropicale pour pallier une éventuelle attaque d'insectes et autres surprises de ce milieu.
Nous utilisons le DdRT (double rope technique) pour les phases de déplacement dans les houppiers, un système classique avec un ZIGZAG. Lors du premier stage, le SRT n’est pas abordé pour se déplacer car le temps d'apprentissage est court et le volume d'informations est considérable. Nous privilégions l'efficacité en limitant les techniques, il est préférable de parfaitement connaître trois nœuds que de mal en connaître une dizaine. L'objectif final est d'avoir une autonomie complète avec les techniques essentielles lors des phases d'équipement de l'arbre, d'accès, de déplacement, de descente et de déséquipement.
Des changements par rapport à tes habitudes ?
Aujourd'hui nous sommes à un stade où les harnais servent à empiler des kilos de matériel, souvent inutile. La forêt tropicale nous oblige à revoir les essentiels et à revenir à des choses simples et efficaces. Apprendre à faire beaucoup de choses avec peu d'équipements, c'est une bonne école de grimpe.
Il y a 25 ans, le métier existait déjà et on grimpait aux arbres avec bien moins de matériel. Finalement lors des expés le poids à transporter nous oblige à revenir aux fondamentaux, à limiter le matériel et ça fonctionne très bien. Au fil des années, nous avons gagné en confort mais la simplicité est un excellent gage de sécurité et d'efficacité.
Comment les scientifiques se débrouillent-ils, une fois que vous êtes repartis ?
Une fois qu’ils savent comment aller installer une caméra-trap dans un arbre, ils doivent établir des protocoles pour l’observation in situ, puis faire la mise en place. Mais comme ils connaissent tous les arbres dans lesquels les singes vont manger, ils savent exactement où placer les caméras-pièges donc ils vont avoir de super résultats ! On insiste aussi sur le fait qu’il doivent grimper toutes les semaines et continuer à pratiquer et à s’entraîner pendant plusieurs mois après notre mission. C’est aussi pour ça qu’on exige qu’ils aient tout leur matériel acheté avant la formation, et on leur fourni la liste complète. Comme ça, on est sûrs qu’ils ont ce qu’il faut pour continuer à grimper par eux-mêmes après.
Ton ressenti sur cette mission ?
Pendant ces dix jours l’ambiance était formidable. C’est toujours marquant d’être dans des endroits comme ça avec des gens aussi passionnés et passionnants. C’est un public ultra-motivé, et transmettre à ces gens-là, c’est que du bonheur.
Un moment fort ?
Il y avait un arbre un peu emblématique que l’équipe de Help Congo connaissait bien, une véritable cathédrale végétale surplombant toute la forêt, à l’ambiance un peu magique. On l’a grimpé jusqu’à quelques mètres sous le sommet. On a eu du mal à l’équiper, on a été obligés de passer par un arbre voisin, alors on était encore plus heureux d’arriver en haut et d’avoir la vue sur toute la canopée sur des milliers d’hectares tout autour, sans la moindre trace humaine, c’était impressionnant.
Le retour des participants ?
Ils sont toujours très contents. Pour les scientifiques, pouvoir grimper dans l’arbre en toute sécurité ouvre un domaine immense pour l’observation, ils peuvent se déplacer en 3D dans la forêt, tout devient possible ! Et pour les locaux, même s’ils connaissent leur forêt par coeur au niveau du sol, ils regardent pour la première fois d’en haut cet endroit où ils vivent et où ils travaillent depuis toujours. Voir le sourire de ces gens qui découvrent leur forêt comme ils ne l’ont jamais vue, c’est un beau moment de partage.
Article rédigé par Anne Jankeliowitch.
Depuis plusieurs années, Petzl soutient l'association EnQuête d'Arbres et cette expédition dans la canopée congolaise est le reflet de cette collaboration. Merci à Laurent Pierron d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
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