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Météorologue et alpiniste : la montagne à plein temps

Hiver comme été, la météo est au centre des préoccupations. Plus encore, c’est l’hiver que l’attention des amateurs de glisse se focalise sur les Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche. Mais comment sont réalisés ces bulletins ? Et quel genre de personnage a la lourde charge de guider les montagnards pour qu’ils passent entre les plaques ? Symon Welfringer est un jeune prévisionniste de Météo France qui a aussi la particularité d’être un alpiniste de talent. Quand il ne dépoussière pas les fissures du Yosemite en escalade, Symon gravit les montagnes du Pakistan ou les cascades de glace des Ecrins. Et le reste du temps, il analyse le manteau neigeux. Rencontre avec un montagnard à temps complet.

11 Septembre 2018

Escalade sur glace

En quoi consiste ton métier ?

J’exerce actuellement le métier de prévisionniste météo et nivologue. Mon métier consiste à rédiger des bulletins texte résumant les conditions météorologiques et nivologiques, je suis entre autre chargé de rédiger le BERA (Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanches). Ce bulletin est bien connu des
pratiquants de toutes activités en montagne durant la période hivernale, il décrit l’état du manteau neigeux sur l’ensemble des massifs Alpins et Pyrénéens.
D’une part, il explique la stabilité du manteau neigeux et développe également les conditions d’enneigement et des prévisions météorologiques détaillées pour chaque massif.

Qu’apporte concrètement ta pratique très régulière de l’alpinisme et du ski ?

Cette pratique m’apporte beaucoup dans mon activité de météorologue. Le fait d’être confronté aux conditions météorologiques et nivologiques de manière presque quotidienne permet de comprendre plus facilement l’évolution des phénomènes. Même si lors d’une course en montagne je n’ai pas vraiment le temps d’analyser la neige ou le temps qu’il fait, c’est dans un second temps que je fais souvent un bilan afin d’identifier les différences entre la prévision et l’analyse de la situation. Faire le bilan d’une situation météo et comparer le bulletin rédigé les jours précédents permet d’identifier nos erreurs et nos imprécisions par rapport à la réalité. Le prévisionniste gagne en expérience et pourra mieux appréhender une situation météo similaire
dans le futur.

Comment prenez-vous le pouls du terrain ?

En tant que nivologue, nous allons également sur le terrain dans un cadre professionnel. Durant nos sorties nous effectuons un ou plusieurs sondages par battage, technique permettant d’analyser précisément le manteau neigeux à un endroit donné. Nous rendons également visite à tous les observateurs en station pour vérifier que le matériel de mesure est en bon état et que leurs mesures sont correctes.

Mais vous ne pouvez pas être partout ?!

Pour un travail de qualité en météo montagne et en nivologie, les observations de professionnels sur le terrain sont fondamentales. Ils sont nos yeux sur le terrain car notre zone d’étude est conséquente. Pour l’Isère, la rédaction du bulletin est faite pour cinq différents massifs que sont la Chartreuse, le Vercors, Belledonne, les Grandes Rousses et l’Oisans. Ces massifs sont très variés proposant des altitudes bien différentes, des expositions et des pentes diverses. C’est pourquoi, la plupart du temps, les observateurs sont des pisteurs d’expérience ayant suivi une formation complète sur l’observation du manteau neigeux et les problématiques avalancheuses, ils sont ainsi qualifiés pour nous transmettre par le biais de codes, leurs observations du temps présent et de l’état du manteau neigeux. Au-delà du simple envoi de l’observation, nous entretenons une réelle relation d’échanges avec les observateurs, nous leur proposons des prévisons météo à une échelle très fine sur leur domaine d’étude. En retour, ils nous décrivent en détail leur ressenti sur la situation actuelle. Ces observateurs peuvent également être gardiens de refuge ou encore secouristes en montagne.

Ces observateurs ont-ils une formation spécifique ?

Oui, nous nous chargeons de les former. Chaque année est organisée une semaine de stage dans une station de ski des Alpes. Le public est principalement composé de pisteurs, mais la formation s’adresse à toutes personnes qui exercent dans le milieu de la montagne et qui souhaitent effectuer des relevés nivo-météo, des secouristes de montagne, des gendarmes ou des pompiers par exemple. En plus de cours théoriques, de nombreux ateliers sont organisés pour réaliser un sondage par battage de la meilleure des manières. Le sondage reste un élément primordial dans la chaîne de prévision du risque d’avalanche. Il rassemble de nombreuses informations sur l’état et la stabilité du manteau. Certes, suivant l’exposition et l’altitude, un manteau neigeux peut présenter une grande disparité, mais un sondage localisé peut tout de même permettre d’expertiser une zone plus globale.

Les prévisions sont donc uniquement issues d’observations humaines ?

Au-delà du réseau d'observation spécifique, les prévisionnistes s’appuient sur l'utilisation de modèles numériques. Dans le domaine de la nivologie, il s'agit d'une « chaîne » de trois modèles dédiés à la neige en montagne et développés par le Centre d'Etudes de la Neige (CEN) basé à Grenoble : Safran, Crocus et Mepra. Chacun de ces modèles porte sur une analyse particulière des données. Les résultats des trois modèles sont ensuite, comme pour les prévisions atmosphériques, expertisés par les prévisionnistes nivologue. Ces derniers déterminent la nature du risque d'avalanche (type d'avalanche et mode de déclenchement), son niveau d'intensité, donnent des précisions sur leur localisation préférentielle…

Peut-on prévoir un risque d’avalanche très en avance ?

La prévision de l'estimation des risques d'avalanche ne porte pas au-delà de 48 h d'échéance. Elle est en effet très sensible aux conditions météorologiques, en particulier aux quantités de précipitations qui se produisent et à la limite pluie-neige. La qualité des prévisions météo actuelle ne permet donc pas d’envisager une échéance plus longue. 

Peut-on espérer gagner encore en précision et en fiabilité ?

A ce jour, de nombreux progrès sont encore à faire pour améliorer la prévision du risque d’avalanches. La nivologie reste une discipline peu développée mais Météo-France travaille à améliorer l'observation en temps réel du manteau neigeux et des conditions météorologiques en zone de montagne pour faire évoluer ces prévisions.

Les principales améliorations projetées sont les suivantes :

  • Resserrer le maillage spatial utilisé pour parvenir à une échelle de lo’rdre du kilomètre (actuellement, il s’agit de zones de 500 à 2000km2).
  • Intégrer en temps réel dans la chaîne nivologique de nouvelles données relatives aux conditions météorologiques. Ces nouvelles données pourraient provenir des observations au sol des conditions météorologiques ainsi que des images satellites.
  • Mieux prendre en compte les effets du transport de la neige par le vent. Les effets du vent sur la neige sont déterminants : le vent est à l'origine de la formation de la majorité des plaques, qui provoquent les avalanches les plus meurtrières. L'étude du transport de la neige par le vent est donc indispensable pour bien en comprendre les mécanismes d’évolution de la neige.
  • Affiner la modélisation des processus et des propriétés physiques de la neige.

Tu es optimiste en ce qui concerne ces évolutions ?

La prévision du risque d’avalanches et plus globalement, la prévision météorologique en zone de montagne, est un sujet complexe en plein développement. La clé de ces améliorations reste la présence d’observateurs sur le terrain, les phénomènes météo qui ont lieu en montagne sont encore peu compris par les modèles numériques. Personnellement, ma présence très régulière en montagne de manière amateur ou professionnel fait partie intégrante de mes prévisions, et inversement, mes connaissances météorologiques me permettent de cadrer ma pratique d’alpiniste.

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