Première ascension dans le Val Bregaglia - Face nord de la Punta Pioda
Du 6 au 9 mars, Roger Schäli, Filippo Sala et Silvan Schüpbach ont escaladé la partie centrale de la face nord de la Punta Pioda. Cette partie très raide et compacte de la paroi n'avait encore jamais été escaladée et présente des difficultés extrêmes. Il s'agit d'une nouvelle étape importante dans le projet à long terme de Silvan, qui consiste à explorer les faces nord « oubliées » des Alpes.
2 Avril 2025
Alpinisme
La face nord de la Punta Pioda (3237 m) trône majestuement au milieu du groupe Sciora dans le Val Bregaglia. Difficile à croire, mais à l'exception d'une voie dans la partie droite, personne n'a encore gravi cette paroi.
Cette paroi me fascine depuis quelques années, mais toutes mes tentatives ont échoué. Ce fut également le cas cet hiver. En décembre, j'ai pu explorer la première partie avec Ines Papert mais à la fin de l’année, je me suis cassé un os du pied et nous avons dû mettre le projet en suspens. Le 5 mars, nous montons enfin à la cabane Sciora, les sacs à dos sont lourds mais la motivation est énorme. Il y a beaucoup à faire dans la cabane : faire fondre la neige, déblayer la cheminée et constituer des réserves de bois.
Le lendemain matin, nous nous mettons en route. En décembre, nous avions déjà dû escalader quelques longueurs de corde plates dans la première partie de la paroi, mais désormais il s’agit d'un simple champ de neige et nous atteignons rapidement le premier escarpement en surplomb. Nous ne parcourons que quatre longueurs de corde ce jour-là. La roche est friable et sableuse, nous devons malheureusement beaucoup recourir à l'escalade artificielle. J'essaie au moins de grimper en libre en second, ce que je réussis plus ou moins. Nous fixons nos premières longueurs avec des cordes et retournons au refuge. Même si nous avons été incroyablement lents, nous sommes euphoriques, car nous avons atteint notre premier objectif : arriver au grand couloir enneigé.
Le lendemain matin, nous nous lançons à l'assaut, déterminés à rester dans la paroi. Le départ est mouvementé et nous ne rangeons que sommairement le refuge. D'après le livre de cabane, personne d'autre n'est venu cet hiver et nous ne nous attendons pas à d'autres visiteurs.
Après un travail acharné, nous atteignons à midi l'extrémité des cordes fixes avec tout le matériel nécessaire pour trois jours dans la paroi. Filippo et Roger continuent à grimper et je prépare le bivouac. Dans l'après-midi, j’aperçois deux alpinistes qui arrivent à la cabane. D’un côté je me dis que nous aurions mieux fait de ranger, d'un autre côté, la cheminée déblayée, la réserve de bois remplie et l'eau sur le poêle devraient compenser le désordre, alors j'essaie de me rassurer.
Mais je me trompe : lorsque Filippo et Roger reviennent au bivouac, nous sommes déjà dénoncés sur les réseaux sociaux. Bien sûr, nous nous sentons coupables et savons que nous avons commis une erreur. Personne n'a envie de nettoyer le désordre laissé par d'autres. Nous sommes néanmoins surpris que ces reproches, formulés par un collègue que nous connaissons bien, ne nous soient pas adressés directement, mais que nous soyons dénoncés publiquement. J'essaie de joindre mon collègue par téléphone pour m'excuser, mais il est injoignable et je n'ai d'autre choix que de lui envoyer des excuses par WhatsApp.
S'ensuit une nuit froide pleine de doutes. Affronter les difficultés de cette paroi est une chose, être en même temps le méchant en est une autre. Le lendemain matin, nous nous disons : « Maintenant, plus que jamais ! » En effet, l'oppression fait place à l'envie de tout donner et de terminer cette voie. Heureusement, pour la première longueur de notre troisième jour, j'ai le droit d'escalader une voie vraiment difficile et étroite, l'activité parfaite pour se changer les idées…
Plus haut, j'escalade une fissure très raide et diagonale qui devrait nous mener au dernier bivouac. Plein de bonnes résolutions, je grimpe librement dans le niveau M8, place des coinceurs derrière d'énormes écailles instables et laisse le sable et la saleté me ruisseler dans les yeux. Toutefois, ma bonne volonté s'estompe rapidement et je passe à l'escalade artificielle, qui est certes très lente, mais plus sûre. Je laisse volontiers la tête à Roger, qui nous conduit au bivouac à la dernière lueur du jour. Le pauvre Filippo aurait dû avoir un jour de repos aujourd'hui, mais en réalité, il doit passer son temps à monter au jumar et à hisser les charges sur des traverses en surplomb... et il arrive au bivouac aussi fatigué que nous deux.
Le quatrième jour nous délivre de la nuit glaciale. Je suis assez épuisé et heureux que Filippo prenne le relais. Celui-ci nous guide avec une descente en rappel et à travers une gorge jusqu'à la voie normale. Il nous conduit rapidement à travers le terrain mixte jusqu'au sommet ensoleillé avec enfin un peu de chaleur !
Cette formidable aventure pleine de privations dans des montagnes sauvages et inconnues de nos Alpes restera longtemps gravée dans nos mémoires. C'était notre première expédition commune et nous avons très bien fonctionné en équipe.
À l'avenir, nous souhaitons que tous les alpinistes respectent les règles relatives aux refuges d'hiver (nous y compris !) et que les conflits soient résolus par le dialogue direct et non via les réseaux sociaux.
Text & Pictures: Silvan Schüpbach
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