700 and counting... du haut niveau à l'équipement de voies avec Charlotte Durif

Le 30 août 2022, Charlotte Durif clippait le relais de "700 and counting", 8a+ à Kyparissi, en Grèce. "Pas exceptionnel de nos jours" me direz-vous, mais laissez-la développer un peu. L'enchaînement de cette voie marquait précisément l'accomplissement de son objectif pour cette année, à savoir la réussite à cet instant de 700 voies entre 8a et 9a.

Retour en février dernier ; en consultant mon blog personnel, chadurif.fr ,où je compile toutes mes ascensions, je me suis rendu compte que mon compteur de voies "8a ou plus" était à 683, ce qui m'a fait réfléchir. Et si j'essayais de gravir 17 voies de ces niveaux cette année pour pouvoir atteindre 700 ? Alors que certaines années dans le passé, j'aurais réussi cela juste pendant des vacances d'été, les croix ces dernières années ont été moins nombreuses en raison de la pandémie ; cela m'est donc apparu comme un véritable défi et ce fut à la fois une bénédiction et une malédiction. D'une part, cela m'a poussé à grimper beaucoup plus qu'avant autour de chez moi, à Salt Lake City, ce qui m'a fait découvrir de jolis petits joyaux lors de sorties à l'après-midi. Par contre, ça m'a obligée à rester dans le 8a ou 8a+ pour être sûre de réussir à la journée, me faisant parfois passer à côté de lignes plus attractives (plus faciles ou plus dures), ce qui est maintenant ce qui m'inspire le plus quand je grimpe.

J'avais 13 ans quand j'ai fait mon premier 8a, "Little Big Boss" dans les Gorges du Tarn en France, en 2004, une année qui a été une percée dans mon escalade. 18 ans plus tard, je suis tellement contente et fière de là où l'escalade m'a menée, au propre comme au figuré ! Et je ne pourrais pas être plus ravie que ma 700ème "voie dure" soit celle que j'ai équipée fin 2021 lors d'un voyage avec mon partenaire de vie et d'escalade Josh, et que j'ai enchaînée en étant assuré par mon père qui m'a initié à l'escalade il y a plus de 20 ans et m'a accompagnée durant toutes ces années !

700 and counting" est une ligne de 30 mètres située au milieu du secteur de Tragana dans la beau spot de Kyparissi, en Grèce. Cela commence par suivre une grosse colonne qu'on remonte comme une cheminée. Suit un passage délicat pour en sortir lequel vous amène à quelques mouvements dalleux, avant d'attaquer la deuxième partie, beaucoup plus raide et physique. Les 10 derniers mètres sont ce qui a attiré mon regard pour choisir cette ligne : une belle mono-colonnette, large de 20 à 30 cm, qui dépasse jusqu'à 50 cm, faite d'un rocher glissant et qui s'enroule le long du surplomb.

J'ai commencé l'escalade très jeune, dans les Alpes françaises avec mon père et mon frère. On faisait beaucoup d'activités liées au plein air et à la montagne, j'ai donc l'habitude de dire aux gens que l'escalade est devenue "mon truc" à l'âge de 9 ans, quand j'ai commencé à grimper en salle dans un club, pour suivre mon frère qui le faisait depuis quelques années. À l'époque, je n'avais aucune idée que l'escalade allait devenir la plus grosse partie de ma vie et qu'elle m'apprendrait autant. Maintenant, avec le recul, il semble que j'ai été rapidement dans un environnement nourrissant l'idée de "voyons ce qui se passe", qui pourrait aussi se traduire par "tout est possible, il suffit d'y aller". Un événement, qui a alimenté cet état d'esprit, s'est produit en juillet 2001, lorsque mon frère, mon père et moi faisions une balade au pied des falaises bleues de Ceüse, en France. Nous avons remarqué des cordes avec des photographes suspendus, alors nous nous sommes arrêtés et avons regardé ce qui se passait, d'autant plus que mon frère s'est rendu compte que c'était Chris Sharma qui allait grimper… Nous ne savions pas que nous étions sur le point d'assister à la première ascension historique de "Biographie/Realization", 9a+.

Les 15 années suivantes ont été un mélange de temps scolaire - j'ai obtenu un diplôme d'ingénieur, puis fait un stage au MIT et j'ai terminé un doctorat - et de temps d'escalade. J'ai réalisé ma passion pour l'escalade avec l'escalade en falaise visitant de nombreux spots et atteignant de nouvelles cotations au fil des années, et j'ai participé à des compétitions car j'aimais les défis et j'y réussissais plutôt bien. Après avoir remporté 6 Championnats du Monde (5 en catégories Jeunes), une Coupe du Monde, un Championnat d'Europe, 16 Championnats de France (8 en Jeunes), j'ai décidé en 2016 d'arrêter ma carrière de compétitrice et de me concentrer sur l'escalade en extérieur. Cette même année, j'ai eu l'opportunité de faire un voyage d'équipement et d'escalade avec le Groupe d'Excellence de la FFCAM à Kyparissi, en Grèce, et ce fut lun point de non-retour dans ma vie : j'ai découvert l'art de l'équipement et suis tombé profondément amoureuse de ça.

En escalade, je suis d'abord attiré par les belles lignes qui captent le regard du bas de la falaise. En équipement, c'est la même chose, sauf que j'ai la responsabilité de définir la ligne et de créer une voie attractive et sûre. J'aime cette créativité qui s'offre à moi et la réflexion intime qui s'engage : "où vais-je, où mets-je mes points, puis-je clipper facilement, comment m'y prendre, est-ce que ça va marcher si je fais comme ça, j'espère que cette prise ne va pas casser, ai-je suffisamment serré l'écrou du goujon au-dessus, etc… ". Pour le côté physique de l'équipement, j'avoue que j'apprécie beaucoup, même si, suspendue dans mon harnais pendant des heures, perçant dans des positions souvent malaisées, poser des points dans le rocher, serrer l'écrou au maximum, nettoyer encore et encore... ce n'est pas un super argument de vente ! Mais l'ensemble est un travail très satisfaisant, surtout pour vivre l'évolution d'un bout de caillou inexploré à une voie prête à être grimpée.

Désormais, j'ai vraiment l'intention que mes voyages d'escalade soient consacrés à l'équipement dans des lieux qui ont besoin d'aide pour le développement ou qui sont éloignés d'une certaine manière et ont le potentiel de nouvelles falaises et de nouvelles lignes. Un bon exemple est Pitumarca, au Pérou, qui est l'un de mes préférés. En altitude, mais super accessible, la région est un joyau en soi avec des vallées qui regorgent de falaises de calcaire parfaites et de tant d'autres voies à développer. En 2019, Josh Larson et moi, avec l'approbation des communautés locales et des grimpeurs, avons équipé la première ligne sur le mur de Kuntur Sayana, que nous avons appelée "Vuelo del Condor" (230 m, 7 longueurs, 8a+ max). Le rocher était juste incroyable et impeccable, me rappelant les parois bleues parfaites des Gorges du Verdon. Avec un nombre toujours croissant de grimpeurs qui se rendent dans les zones populaires, je pense qu'il va devenir essentiel de développer de nouveaux secteurs et de les faire connaître afin que les plus fréquentés ne finissent pas surfréquentés.