David Ravanel, 1er de cordée à la Compagnie des Guides de Chamonix
La Compagnie des guides de Chamonix est une institution légendaire dans le monde de l'alpinisme. Nous avons rencontré David Ravanel, le président actuel. Il nous parle de son parcours, des guides, des enjeux pour cette organisation presque bicentenaire et du partenariat initié récemment avec Petzl.
21 Mai 2015
Alpinisme
David, peux-tu nous parler du début de ton parcours dans la vie et en montagne ?
"Je vis depuis 45 ans à Argentière sous l'aiguille Verte. J'appartiens à une lignée de montagnards, avec mon arrière grand père Camille dit "à la Zitte" et qui était le frère de Ravanel le Rouge et Michel Ambroise Ducroz, auteur de la première ascension du Chardonnet en 1865. Je suis naturellement tombé dans la marmite, la marmite de l'alpinisme et du ski.
Inutile de vous dire qu'à l'école, au collège puis au lycée, mon regard se perdait souvent sur une pente, un caillou, une arête. Mes parents ont toujours fait beaucoup de montagne, mon père en tant que guide bien sûr. S'ils ne m'ont pas poussé outre mesure, ils ne m'ont jamais découragé.
Ma vie est faite de rencontres. Ma première grande chance a été de connaître mes copains qui vont devenir les compagnons de cordée de mon adolescence : Jérôme Ruby, Dédé Rhem, Fred Vimal, Christophe Dat… Une vraie bande, on était insatiables. Tant qu'on avait pas fait toutes les voies de certains sommets on n'était pas contents. À seize ans, on va à la face sud du Fou, la Walker, le pilier Bonatti! Je grimpe, je grimpe, je grimpe… D'autres grimpeurs rejoindront plus tard cette équipe. Sam Beaugey, par exemple, qui d'ailleurs travaille aujourd'hui pour Petzl."
Et les études ?
"Au niveau "études" évidemment, on trébuche, et beaucoup d'entre nous ne vont pas jusqu'au bac (j'ai depuis acquis l'équivalent d'une licence STAPS). Par contre c'est parti pour la carrière de guide. Je passe le "proba" et l' "aspi" en 90 et le guide en 93 avec là encore des gens exceptionnels : les copains Sylvain Frendo, Pierre Risardo, Robin Molinatti et des profs de l'ENSA, Georges Payot, Alexis Long, Tchouky. J'ai apprécié et beaucoup appris de mon passage à l'ENSA. On ne t'enseigne pas à mieux grimper mais beaucoup d'autres choses et notamment comment passer de l'alpiniste amateur au professionnel qui va emmener des clients. Une petite anecdote me revient : quand j'ai eu mon diplôme, ma grand mère m'a remis le cahier de courses de mon arrière grand père en me disant "maintenant il va falloir que tu te trouves un vrai travail…". J'ai compris plus tard, qu'en effet c'est bien d'avoir plusieurs cordes à son arc."
C'est alors parti pour le métier de guide ?
Oui, je rentre au bureau des guides d'Argentière. J'ai eu comme "parrain" mon père bien sûr mais également beaucoup d'autres guides. Le soir, à tour de rôle, ils ramènent de l'info, on discute. On se sent moins seul; c'est une vraie chance. La compagnie des guides devient ma deuxième famille. J'observe beaucoup, je progresse, notamment dans la notion d'anticipation (pour moi le facteur clé de la sécurité). Je découvre la richesse de ce métier : les rencontres, la richesse de relations qui, là haut, sont autres. La cordée ce n'est pas qu'une métaphore. Elle peut créer des amitiés fortes qui continuent d'exister une fois dans la vallée. Je me souviendrai toute ma vie d'un client de mon père. Carreleur au Mureaux, il économisait pour venir tous les étés. Une vraie fidélité. Moi même, j'ai un client depuis que je suis "aspi" qui m'a même aidé dans mes travaux sur mon toit."
Comment regardes-tu ce métier de guide et son évolution aujourd’hui ?
"Cela fait vingt cinq ans que je fais ce métier. Je crois que cette activité de guide gardera toujours une certaine aura; il y aura toujours des clients pour faire de la montagne avec les valeurs qu'on connaît : l'effort, l'engagement, la fidélité...
Mais le métier évolue aussi : la clientèle se diversifie, elle est internationale, on travaille de plus en plus avec des groupes, il y a maintenant un aspect important dans le côté organisateur, fournisseur d'une prestation. Le guide n'est pas là que pour la sécurité… Les clients veulent aussi vivre des expériences riches. Le guide doit, quelque part, leur raconter une histoire. La dimension de passeur vers ce monde particulier de la haute montagne et de l'alpinisme est essentielle. La montagne est un monde tellement particulier. On dit souvent que c'est un monde au dessus du monde; on ne fait qu'y passer. C'est aussi un sport, mais aussi tellement d'autres choses.
Une des difficultés du métier est d'accepter sa propre évolution et parfois de savoir dire stop. Avec des clients, j'ai fait le "Cho Oyu" ou le "Mallory" à ski dans la face nord de l'aiguille du Midi. Aujourd'hui je n'irai plus. Je crois que c'est une force de savoir renoncer, de savoir s'adapter."
Il y a aussi peut être l’idée d’avoir plusieurs cordes à son arc, comme tu disais ?
"Justement, une autre de mes chances est aussi d'avoir pu exercer d'autres activités que le métier de guide traditionnel; c'est peut être du à une certaine curiosité : entraineur du club escalade, pendant sept ans prof. à l'ENSA, sept ans comme directeur technique de la Chamoniarde (société de secours de Chamonix). J'ai une aussi une grande passion : la photo. Elle me permet de redécouvrir la montagne, les courses et je vois tout cet environnement différemment. C'est un autre regard !"
Peux-tu nous parler de la Compagnie des Guides de Chamonix ?
"Je suis président de la Compagnie des Guides de Chamonix depuis janvier 2012. Elle compte 265 membres guides et accompagnateurs dont 165 guides actifs et une quarantaine de guides honoraires. Aujourd'hui cela représente, entre les clients "perso" des membres et le travail distribué chaque année 17000 journées terrain. Je crois qu'on peut parler de vraie expertise. Mes prédécesseurs ont fait un gros travail; ils ont laissé une structure saine développée. Avec le comité directeur, à nous de poursuivre."
Quels sont les enjeux pour la Compagnie aujourd'hui ?
"On doit allier la tradition avec la modernité. C'est à dire lier notre histoire, notre savoir faire et les attentes de la clientèle. Bien sûr l'alpinisme est essentiel, mais la demande est beaucoup plus large : escalade, canyon, via ferrata, des stages multiactivités… On voit aussi une attente pour des nouvelles pratiques : Chamonix Zermatt Speed en trois jours ou des ascensions d'été en formule, elle aussi, speed ! On a aussi un rôle dans la transmission des techniques et des savoirs. Nous avons un stage de prépa. à l'aspirant guide; nous allons certainement creuser plus cette piste. Je me souviens qu'un jour, avec un client, j'étais malade. J'étais content que mon client soit un minimum autonome; il m'a réellement aidé. Nous devons aussi, par exemple, nous poser la question de l'accès à la montagne pour des gens qui parfois ne connaissent que la structure artificielle d'escalade (SAE): comment passer de la "grimpe citadine" à la haute montagne ?
La montagne est plurielle et la Compagnie d'aujourd'hui se doit de l'être aussi. De l'accompagnateur passionné du milieu naturel au jeune guide surdoué rêvant de "Walker avec client" en passant par "l'ancien" et son expérience unique, chaque membre doit pouvoir trouver sa place dans la structure. C'est ça notre richesse, notre force !"
Comment s'est établi le partenariat avec Petzl ?
En terme de partenariat, nous choisissons des entreprises qui correspondent à nos valeurs. Avec Petzl, la Compagnie avait déjà un partenariat commercial. Aujourd'hui, nous souhaitons aller plus loin dans la mise en relation de compétences, d'expertise, de développement de projets communs. Un exemple avec des stages co-brandés pour l'alpinisme...
Sur un plan personnel, j'aime bien le regard et la franchise de Paul Petzl. Les choses se font à la montagnarde. La poignée de main est solide. Je connais plusieurs membres de l'entreprise, avec qui j'ai vécu des aventures en montagne : Erwan Lelann, Sam Beaugey.
Les produits, bien sûr, je les connais presque tous. Seul certains noms m'échappent et je ne dois pas être le seul non ? Vous les trouvez où ces noms d’ailleurs ? (rires). Par contre une chose est certaine avec Petzl, quand le "matos" sort dans le commerce, on peut compter dessus, il est "testé et approuvé" et c'est le plus important.
En montagne il y a beaucoup de facteurs aléatoires alors tout ce que l'on peut gérer facilement il faut le faire. Avoir le bon matériel est primordial. Là, je pense aux casques, le METEOR, le SIROCCO. Parmi mes premiers produits Petzl, il y a eu les crampons BLACK ICE. Ils ne m'ont jamais lâché.
Bref je suis sûr que nous avons beaucoup de projets à mener ensemble. À suivre !"
Un petit mot de conclusion ?
"À chaque fois que je suis sur un sommet je me sens toujours aussi petit face à l'immensité de la montagne, mais quand j'en redescends, je me sens chaque fois un peu grandi."
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